Mickey et moi, on a pleuré

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Célestin, il ne me répond jamais, mais il m’écoute toujours. Il est bizarre. Il y a des fois, quand j’appelle maman la nuit et bien Célestin, il a les yeux ouverts. Il ne dort pas.

− Tu veux que je te raconte encore une fois Célestin ? Je revis ce moment comme si c’était encore maintenant…

*

Samedi 14 novembre, c’est le jour de mon anniversaire. Papa et maman m’ont promis une surprise, un grand voyage. Nous partons enfin passer le week-end dans la maison de Mickey, je vais pouvoir rencontrer mon idole. Il est beau et il sourit tout le temps. Ce n’est pas comme papa aujourd’hui.
Hier soir, il est sorti en courant de la salle de bains, sa brosse à dents à la main et de l’autre son poste de radio. Je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit, papa et maman ont regardé la télévision très tard. Ma petite sœur s’est couchée de bonne heure, normal, elle est encore petite, elle. Moi, j’ai 6 ans, je suis presque grand comme dit maman, parce que maintenant, je me lave les dents tout seul.
Je suis encore petit quand ça m’arrange, mais ne le répète pas Célestin.
Maman a vidé mon sac à dos, celui que je prends pour aller à l’école. C’est mon préféré, Mickey est dessiné dessus. Dedans, elle a mis un pull et mon bonnet. En plus, elle a cousu mon nom dessus. J’ai l’air fin !
Mes copains ne le verront pas, car elle m’a promis de le découdre dès notre retour. Papa fait la tête, enfin j’ai l’impression. On dirait qu’il n’a pas envie de partir. Il passe son temps devant la télévision. Je n’ai même pas eu le droit de finir de regarder mes dessins animés. Maintenant, il regarde un monsieur qui parle et qui montre toujours les mêmes images, des gens qui sautent par les fenêtres, des pétards qui font mal aux oreilles, des voitures de policiers comme celle que j’ai eue pour ma fête.
Je ne peux même plus jouer avec parce qu’elle fait trop de bruit. T’entends ça Célestin ?
Je ne comprends pas, maintenant papa ça ne le dérange pas tout ce bruit de sirène. Maman l’a rejoint, elle est plantée debout derrière le canapé, l’air inquiet. Elle a la même tête quand papa lui téléphone pour annoncer qu’il va rentrer tard. Ces soirs-là, on mange tous les trois, elle ne parle pas, je l’ai même vue pleurer. Elle me dit que non, mais moi je sais quand elle est triste, c’est quand même ma maman !
Si ça continue, on va être en retard et Mickey va m’attendre. Ma petite sœur n’a pas encore enfilé son manteau. Je vais lui mettre, la maitresse m’a montré comment il fallait faire avec les plus petits, ça doit être pareil pour les filles.
Je ne sais pas si l’on va finir par partir, Célestin et moi, on est impatient. J’ai pris mon cahier de chansons pour la route. La fête de Noël approche et je ne les connais pas toutes par cœur. On va passer chercher Ali et Achika sa sœur. Ils viennent avec nous chez Mickey, je les ai invités pour mon anniversaire. Achika est belle, elle est toujours un peu bronzée, pourtant elle ne va plus jamais à la mer. Elle m’a dit qu’elle avait eu peur dans le bateau que son papa et sa maman avaient pris pour venir ici. Elle m’a confié dans le creux de l’oreille que son prénom voulait dire l’amoureuse, ça tombe bien parce que c’est mon amoureuse.
Tu ne le répéteras pas d’accord Célestin ?
Maman me regarde, elle a les larmes aux yeux, c’est curieux, parce que papa est là. Il n’a pas l’air content, pourtant il me lance un sourire un peu forcé et me prend dans ses bras en me serrant fort. Il ne fait jamais ça normalement.
− On y va, papa ? Je vais aller chercher mon sac et m’installer dans la voiture je vais attacher Justine dans son siège. Je sais faire, maman m’a montré. Viens Célestin.
Papa ne répond pas, il regarde encore une dernière fois la télévision avant de l’éteindre en soupirant. Maman a perdu son sourire réconfortant.

*

Papa n’a pas mis beaucoup de temps pour arriver chez mes copains. Il n’y a personne sur la route, les rues sont vides. La maison de mes copains est bien plus haute que la nôtre. Il faut prendre un ascenseur pour monter chez eux. Achika, elle a de la chance, elle habite dans une tour comme les princesses. La maman de mes copains a toujours un foulard sur la tête, c’est bizarre, il ne fait pas vraiment froid dehors. Elle est gentille, elle nous offre toujours des gâteaux qu’elle fabrique toute seule. Elle met des pistaches et des noix dedans, c’est rudement bon. Ali et Achika sont déjà prêts, ils nous attendent depuis un moment, même qu’Ali avait peur que l’on ne vienne pas les chercher. Pff n’importe quoi !
Célestin, tu tiendras bien la main d’Achika car elle a peur des grands voyages.
Papa et maman n’en finissent plus de discuter avec les parents de mes copains, eux aussi ont les yeux rouges. Ils se sont serrés dans les bras les uns des autres, je ne savais pas qu’ils se connaissaient si bien. Ce n’était pas prévu, mais ils vont venir avec nous. Ça va être une chouette journée !
Ali et Achika n’ont jamais mangé de « barbe à papa ». Tu t’en rends compte, Célestin !

*

Papa m’a dit que nous allions rouler pendant deux grandes heures et que nous pouvions dormir dans la voiture. Moi j’aimerais bien, mais il écoute la radio qui répète toujours les mêmes choses qu’à la télé. Je ne peux même pas chanter. En fait, on a mis plus de temps, enfin, j’ai l’impression. Il y a plein de voitures de police qui roulent vite avec des lumières sur le toit. Nous, on est obligé de s’arrêter et de les laisser passer. Quand je serais grand moi aussi, je mettrais une lumière bleue sur le toit de ma voiture.
La maison de Mickey est grande, maman me l’a montré à travers la vitre de la voiture. Il n’y a pas beaucoup de voitures sur le parking par contre, il y a plein de voitures de gendarmes. Je ne savais pas que les gendarmes aimaient Mickey eux aussi.
Avant d’entrer dans la maison de Mickey, ils ont regardé dans mon sac à dos, ils sont curieux quand même non ?
À toi aussi, ils t’ont fait des papouilles et tu n’as rien dit ! Ah, Célestin, tu n’es pas chatouilleux !
Elle est belle la maison de Mickey, il y a même un château en plein milieu. Maman dit que c’est le château de la « Belle au bois dormant » quand je serai grand, je construirais un château pareil pour Achika.
Ne t’inquiète pas Célestin, tu auras toi aussi une chambre pour toi tout seul !
Pendant que nous nous amusions dans les manèges, j’ai vu papa et maman se faire des bisous et se tenir par la main. Moi aussi je vais faire un bisou à Achika, on s’aime pour la vie, on va bientôt se marier. J’ai pris la main d’Achika. Nous avons rigolé tous les deux, car avec nos doigts de différentes couleurs, on dirait les touches du piano de maman. Mon amoureuse, elle dit que ce n’est pas grave que ma peau soit blanche, ça l’amuse car elle peut compter mes taches de rousseur.
Arrête de sourire Célestin !
Pour Noël, j’ai cassé ma tirelire et j’ai acheté un joli foulard dans le magasin de la maison de Mickey. Comme ça, Achika pourra couvrir ses cheveux comme sa maman. Elle non plus n’aura pas froid aux oreilles.
Il n’y a que les enfants qui crient et qui jouent, les adultes, eux, ne semblent pas s’amuser comme nous. Avant la grande parade, tous les amis de Mickey se sont regroupés dans la rue qui va au château, sans rien dire, pendant une minute. C’est fort ! Moi je parle tout le temps. Il y a même des gens déguisés en militaires. C’est drôle, on dirait des vrais comme à la télé !
J’ai vu Mickey se cacher derrière le marchand de glace, j’ai eu l’impression qu’il était triste et qu’il pleurait, alors je me suis approché de lui pour lui faire un câlin. Ça m’a rendu triste moi aussi parce que Mickey, il ne peut pas avoir de peine. En plus, il est là pour faire rire les enfants. Alors, il m’a pris dans ses bras et a essuyé la larme qui coulait sur ma joue en me faisant un gros bisou.
On n’a pas vu la journée passer. La nuit commence à tomber. Papa et maman nous ont dit que c’était bientôt l’heure de retourner à la maison. D’après Papa, nous devrions mettre plus de temps pour revenir à Paris.
Ali, Achika et Justine dorment déjà dans la grande voiture de Papa. Moi je reste éveillé et j’écoute sans comprendre les grands qui parlent avec des mots que je ne comprends pas. Il y a maintenant plein de voitures de pompiers dans les rues, elles aussi ont des lumières qui clignotent sur le toit. C’est joli ! Mais il faut faire plein de détours, car beaucoup de rues sont fermées, ça, c’est embêtant ! Mais je suis content on a quand même fait un grand voyage.
Tu es content toi Célestin ?

*

Célestin, il m’écoute encore, mais il ne me répond pas. C’est peut-être parce que mon nounours est en peluche. Ça ne parle pas les peluches, ça écoute.
Célestin, t’es mon copain pour la vie !

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