Lire un extrait…Conspiration Ezéchiel

« Tout homme a droit à 24 heures de liberté par jour. »
René Magritte

Chapitre 1

Paris de nos jours, vers 10 h du matin.
— Assis à la terrasse du café « Fuego Latino », j’attendais patiemment ma compagne en parcourant le journal du jour. Elle avait toujours su se faire désirer, enfin c’était sa réplique et son excuse habituelle. Disons qu’elle était systématiquement en retard à tous ses rendez-vous. J’en arrivais même à penser qu’elle finirait par rater l’heure de son propre enterrement. Heureusement pour moi, l’endroit incitait au farniente. Un fond sonore brésilien contribuait à rendre le lieu chaleureux et entretenait son esprit mythique. Mon petit crème refroidissait tranquillement, je déteste le café chaud. Le soleil de printemps inondait de ses premiers rayons les pavés de la place publique récemment refaite. Les pigeons profitaient eux aussi de cette belle journée pour s’aventurer à proximité des tables en quête de quelques miettes. C’est fou comme ils sont curieux et d’une nature téméraire !
— Venez-en au fait, Anderson ! Vos histoires de volatiles qui roucoulent sur vos places parisiennes, on s’en contrefout.
— Excusez-moi, agent Muller, je vais vous la faire plus courte, mais il est important que vous compreniez le contexte.
— Miller, s’il vous plaît ! C’est nous qui dirigeons l’interrogatoire ici, on reprend tout depuis le début. Nom, prénom, profession… Allez, et épargnez-nous vos salades !
— Je m’appelle Richard Anderson, je suis architecte, je partage ma vie avec mon amour d’enfance Julie, neurologue. J’ai failli passer l’arme à gauche après une intoxication à l’ergotine et depuis, j’ai appris à savourer chaque instant et à relativiser les évènements qui se présentent à moi. Nous vivons maintenant à Paris et avons quitté le sud de la France depuis presque deux ans. Vous avez entendu parler de cette intoxication collective ?
— Oui, ça on le sait, et pour tout vous dire, on s’en fout complètement. Allez droit au but, expliquez-nous plutôt le pourquoi de vos recherches incessantes sur internet et à travers les rayonnages de la bibliothèque de votre quartier. Ne le niez pas, vous avez été dénoncé par la documentaliste.
— Sympa ! Si l’on ne peut plus s’intéresser à l’actualité et aux civilisations !
— Il y a une marge entre être curieux et passer ses journées de l’ouverture à la fermeture dans ce boui-boui pseudo intellectuel de quartier ! Surtout quand les livres consultés n’ont aucun rapport avec votre métier. De plus, toujours selon les dires de la documentaliste, vous repartiez avec des piles de bouquins que vous ne restituiez pas, ce n’est pas louche ça ? ajouta avec conviction Giffard.
— C’est toujours compliqué de raconter une histoire, surtout quand on ne connaît pas la fin. Dans notre cas, cette histoire semble susciter chez vous une passion démesurée. En plus, ça manque de charme. Lisez-vous l’ultime chapitre de votre livre avant le premier ? Plus jeune, alors que j’achetais un bouquin, à peine rendu à la caisse du magasin, mon petit frère me dévoilait la dernière phrase du roman juste acquis et partait dans un grand éclat de rire. Ça avait le don de m’énerver, moi qui tenais cette future évasion littéraire comme un Graal.
— N’abusez pas de notre patience, vous pourriez finir dans une cellule, à l’abri de la lumière pour le restant de vos jours.
— Sous quel chef d’accusation ?
— Terrorisme, ça vous convient ? Votre activité sur le web a été repérée par Google et a été transmise à la CIA pour que nous menions une enquête préliminaire. J’ai été envoyé en France pour collaborer avec le Quai des Orfèvres qui est en charge de votre dossier.
— Comme vous y allez, toujours dans l’excès, vous n’êtes pas Américain pour rien ! Je vais donc en revenir à ce journal et plus précisément à ces annonces qui ont attiré mon attention.
— Nous vous écoutons. Et ne vous foutez pas de notre tête !
— Non, figure, rectifia Giffard.

*

J’avais été invité à monter quatre à quatre les marches d’un interminable escalier de bois qui s’enroulait autour d’un vaste espace central. Sa couleur était identique aux murs noircis de l’entrée principale. La rambarde en chêne brillait sous l’usure des mains qui la caressaient tous les jours. Menotté dans le dos, je n’avais pas le loisir d’en palper la patine. Soucieux de l’argent du contribuable, le locataire des lieux ne devait pas grever son budget en peinture et décoration. Aucun tableau n’ornait les murs défraîchis, seul un panneau de liège vantait les mérites de la profession. Certaines affiches faisaient la part belle à l’école de police et à l’engagement pour la patrie. D’autres rappelaient les animations proposées par l’amicale de la « maison Poulaga ». Je ne m’imaginais pas que le ministère de l’Intérieur puisse bénéficier d’un comité d’entreprise. À travers ce fatras, quelques notes de service, fraîchement punaisées, tentaient de trouver leur place en se chevauchant. On ouvrit pour moi une porte de bureau et je fus invité avec élan à m’asseoir sur une chaise qui me rappelait celle que j’avais usée avec mes fonds de culotte. Le local dans lequel j’allais être interrogé n’avait pas de fenêtre ni d’horloge au mur. Pas le moindre indice, rien pour me donner une vague idée du temps que j’allais y passer. Un bazar régnait sur les étagères gavées de dossiers empilés. Le mobilier vétuste était constitué d’un vieux bureau de bois de sapin mal entretenu et d’une armoire en métal gris des années 70 dans le même état. Le « 36 » n’avait pas l’air de rouler sur l’or…
Mon auditoire était composé d’un commissaire de la police antiterrorisme et d’un membre de la CIA spécialement venu me rendre visite. Miller était le parfait stéréotype de l’Américain bedonnant gavé de hot-dogs et de boissons gazeuses. Ses parents avaient dû le concevoir en regardant un dessin animé de Mickey… Ses oreilles largement décollées devaient être un atout de taille dans le milieu du contre-espionnage et les écoutes téléphoniques devaient être son sujet de prédilection. Giffard, plus discret et moins vindicatif, tentait de se mettre en avant pour ne pas passer pour une chiffe molle. Lui avait dû prendre ses galons grâce à son flair. Il faut dire que la largeur de ses narines avait dû l’aider… Le commissaire français avait une tenue vestimentaire soignée. Dans un costume noir un peu étriqué, le dandy à l’allure précieuse, originale et recherchée, choisissait son langage en s’adressant à moi. Ce beau duo n’hésitait pas à déguster sous mon nez des sandwichs et des hamburgers sans m’en offrir, le sens de l’hospitalité ne devant pas s’apprendre à l’école de police, qu’elle soit française ou américaine. Néanmoins, je pouvais en déduire avec plus ou moins de précision à quel moment de la journée nous en étions. Les yeux et les oreilles de mes interlocuteurs étaient braqués sur moi. Si le début de mon histoire était somme toute assez simple, le contexte était, lui, bien plus compliqué à expliquer.
— Comme je vous l’ai déjà dit, je lisais la manchette de mon journal, quand j’ai été intrigué par la corrélation entre un article et une petite annonce.
— Non, ça, vous ne nous l’avez pas mentionné !
— Ne me coupez pas à chaque instant, j’en perds le fil !
— Il continue à se foutre de notre tête, collez-le au mitard et qu’on en finisse, s’esclaffa le galonné de service fraîchement arrivé du pays de l’oncle Sam.
— Laissez-le, Miller, laissez-le. D’abord, on ne dit pas « se foutre de ma tête » mais de « ma gueule », mais l’expression la plus appropriée est « se moquer de moi », intervint Giffard.
— Merci Messieurs, à force de me couper dans mon élan, je ne sais plus où j’en étais.
— Nous sommes au bord de l’incident diplomatique, Anderson, il va falloir y mettre du vôtre, et vite ! Je vous laisse une dernière chance. Après, je signe votre extradition vers les States. Peut-être auront-ils des arguments plus persuasifs sur place qu’ici, à Paris ? Un petit séjour à Guantanamo, ça vous parle ? Ça vous conviendrait comme destination ?
— Le climat cubain est excellent à cette époque de l’année, mais, hélas, mon passeport n’est plus à jour, je ne peux pas quitter le pays.
— Quand je vous dis qu’il se fout de notre tête !
Les sourcils serrés et la mâchoire crispée, Miller ne tenait plus en place. Il me présentait son poing fermé orné de ses deux chevalières en or massif. Le rougissement de son visage et la carotide bondissante sous la peau de son cou trahissaient la colère qu’il tentait de contrôler.
— De notre gueule, Miller. Bon, Anderson, vous parlez ou vous partez. Que choisissez-vous ? insista Giffard.
Il commençait à perdre son sang-froid lui aussi et devait avoir envie de rentrer chez lui retrouver son deux pièces-cuisine. Je l’imaginais enfilant consciencieusement les chaussons et les patins préparés par madame « bigoudis sur la tête ». Après un baiser sur le front en guise de laissez-passer, il devait, tel un rituel, déplier son journal et repousser le chat qui venait frotter sa gratitude sur les bas de son pantalon bleu marine. Giffard faisait partie de ces hommes qui avaient pris soin de leur personne. Une allure encore svelte, tiré à quatre épingles, il devait être très attaché à l’image qu’il renvoyait. Seule sa coiffure donnait l’impression de n’être pas maîtrisée et ses tempes grisonnantes trahissaient son âge avancé.
Toujours est-il que ces cons-là n’avaient pas le sens de l’humour, c’est le moins que je pouvais dire. Je devais reprendre mon sérieux. J’avais joué un peu avec leurs nerfs, mais je risquais de perdre à ce petit jeu, d’autant que j’avais le ventre creux et que Julie devait commencer à s’inquiéter.
— D’accord messieurs, je vais vous expliquer, mais je n’ai rien fait d’illégal, je vous le réaffirme.
— C’est nous qui en jugerons.
— Bon, je vais vous énoncer les faits. Laissez-moi reprendre le déroulement des évènements. Je vous ai parlé de ce rapprochement que j’ai fait entre cette annonce et le sujet de cet article sur la manchette de ce journal. J’ai cru à une coïncidence au départ, mais curieusement, elle a attiré mon attention. Comment était-ce possible sur le même tirage ? Ce ne pouvait être que l’œuvre de quelqu’un. La une était de la plume d’un chroniqueur travaillant en free-lance. Il fait des piges pour un certain nombre de quotidiens. Il envoie son papier 48 heures avant la parution et comme vous le savez, seules les annonces payantes de moins de 24 heures sont insérées dans les pages en question et de façon automatique. Avouez que cela a pu me rendre perplexe. Mais laissons là cette question. L’article faisait référence aux pandémies constatées à travers le monde et à l’inquiétude grandissante des experts des ONG et de l’OMS en matière de santé publique. Les études se succédaient sur les causes et conséquences de ces catastrophes en insistant sur les responsabilités des autorités. L’article avait de quoi faire froid dans le dos. L’annonce, elle, s’y référait subtilement en ayant pour titre « 4PA6 : 8. Pandémie RDV 4/14 ».
— Comment avez-vous fait le lien entre cet article et cette annonce ?
— Et pourquoi y voyez-vous une corrélation, ajouta Miller ?
— Je suis tombé dessus par hasard, je vous l’ai déjà dit. La voiture de Julie, mon amie, est bonne pour la casse. J’étais venu la chercher à l’hôpital et je parcourais les colonnes en quête d’une bonne occasion en attendant qu’elle quitte son poste. J’avais lu attentivement cet article sur la santé et voir le mot « pandémie » dans une annonce m’a interpellé sans que je fasse immédiatement le lien. Le journal plié, j’ai rapidement fait la relation avec le message. De quoi m’intriguer, vous me le concéderez. Quelques semaines plus tard, alors que j’avais complètement oublié cet incident, et toujours à la recherche d’une voiture pour ma compagne, je suis tombé sur une annonce rédigée de la même façon que celle qui m’avait intrigué précédemment. Son titre était « 5PA D 11 : 40-42-43 Moyen-Orient RDV 5/14 ». Je n’avais pas encore feuilleté mon journal. Je l’ai parcouru à la hâte espérant ne rien trouver, ce qui m’aurait confirmé que mon imagination me jouait des tours. Hélas, dans les pages de politique internationale, un article titrait « Vers une montée d’une puissance islamique extrémiste et agressive ». Je vous passe les détails, vous connaissez l’actualité aussi bien que moi. Le soir même me vint l’idée de chercher s’il existait d’autres similitudes. Je décidai de partir dès le lendemain matin à la bibliothèque municipale pour consulter les journaux des semaines passées. Et là, je suis tombé sur une annonce ayant une codification similaire « 3PA M13 : 8 min 24 s : 7 Z14 : 4-5 Tremblement de terre RDV 3/14 ». Un article sur le réchauffement climatique tentait de faire un rapprochement avec les nombreux tremblements de terre enregistrés à travers le monde. Je me suis mis à chercher encore plus loin dans les éditions précédentes, je devais en avoir le cœur net. S’il existait une annonce 4PA et une 3PA, logiquement j’avais des chances d’en trouver deux autres, c’est-à-dire 2PA et de toute évidence, la première devait être 1PA. La réponse ne se fit pas attendre. À un intervalle d’un mois très exactement, j’avais mis la main sur les journaux concernés. « 2PA6 : 5-6 M24-7 Famine RDV 2/14 » et la première « 1PA M24 : 6-7 M24 : 22 Nouvel Ordre mondial RDV 1/14 ». J’avais bien devant mes yeux la preuve d’une suite logique. Les articles correspondaient une fois de plus aux annonces. Les risques de famine dans le monde faisaient l’objet d’une explication assez longue dans laquelle le journaliste évoquait la conséquence de la sécheresse exceptionnelle à travers la Terre et la probable augmentation des embrasements. Puis la menace de crues lorsqu’il se remet à pleuvoir, parce qu’il n’y a plus de végétation pour retenir l’eau dans les régions dévastées par les flammes. Ces catastrophes, pour lui inévitables, de sécheresses, de famines, d’incendies et d’inondations allaient, selon sa conclusion, généralement ensemble. Ces famines à l’échelle mondiale pouvaient déboucher sur des rivalités et une lutte sans merci entre les nations pour la nourriture. Cela contribuait, toujours aux dires de l’auteur, à une augmentation des dangers politiques et militaires, particulièrement pour les États-Unis, la Grande-Bretagne et les peuples dont les pays sont généralement considérés comme les greniers de la planète. L’article sur le nouvel ordre mondial était encore plus apocalyptique. Il faisait état du risque croissant d’affrontements entre les religions. Les guerres, la montée de la violence et de l’anarchie seraient les signes avant-coureurs d’une pagaille globale débouchant sur des conflits mondiaux. Il y avait de quoi avoir des sueurs froides. Ça commençait à faire beaucoup de coïncidences. Je n’ai pas pu m’empêcher de me souvenir de notre intoxication collective et de faire un rapprochement avec le projet Blue Beam.
— Vous n’allez pas croire à ces conneries conspirationnistes ? me demanda le Ricain.
— Revenons-en à ces annonces. De quoi traitaient-elles ? Il devait bien avoir un contenu ou quelques mots ? se renseigna le commissaire français.
— Effectivement, si les titres changeaient, donnant une impression de suite chronologique, le message était toujours le même. Il reprenait les deux premières strophes d’un sonnet de René-François Sully Prudhomme.
— Je ne le connais pas, celui-là ! déclara Miller
— Moi, je me souviens bien de ce poème, je l’ai appris à l’école :
La pudeur n’a pas de clémence,
Nul aveu ne reste impuni,
Et c’est par le premier nenni
Que l’ère des douleurs commence.
De ta bouche où ton cœur s’élance
Que l’aveu reste donc banni !
Le cœur peut offrir l’infini
Dans la profondeur du silence.

— Euh, la suite, je ne m’en souviens plus.
— Ce n’est déjà pas mal, commissaire ! Le titre de ce poème est « Le silence ». J’en arrivais à croire que l’auteur des annonces voulait mettre en garde quelqu’un.
— Ou bien monnayer son secret ! ajouta Giffard, perplexe.
Miller scrutait sur son téléphone les résultats de son ami Google. Mais l’ingratitude du réseau français ne lui permettait pas de vérifier l’exactitude de notre culture.
— Revenons sur ce journaliste, qui était-il ? demanda Miller. Car moi, ce que j’entends, c’est que vous avez commencé à enquêter sur lui. Vous savez déjà qu’il travaille en free-lance et qu’il envoie ses articles 48 heures avant le tirage du journal. Permettez-moi d’être un peu surpris pour quelqu’un qui nous parle de hasard !
— Je l’ai rencontré, il répondait au nom de John Collins et signait ses papiers JC.
— Bon sang ! Ces initiales me font penser à quelqu’un, ça ne vous dit rien, Miller ?
— Et où l’avez-vous vu pour la première fois et quelles explications vous a-t-il données ? enchaîna Miller, sans répondre à Giffard.
— Dans un parking noir et sombre en sous-sol d’une galerie marchande.
— Toutes les aires de stationnement sont lugubres ! Vous n’avez pas trouvé autre chose ? Vous regardez trop de séries TV.
— La plupart du temps, c’est vous qui les produisez.
— Arrêtez vos conneries Anderson, je repose la question de l’agent spécial Miller. Quelles raisons vous a-t-il données pour les papiers qu’il rédigeait ?
— Pour les articles, il les justifie par une démarche tantôt environnementale, tantôt politique. Bref, il m’a tout simplement dit qu’il faisait son métier. Par contre, pour les annonces, il ne semblait même pas au courant de leurs parutions. Il tentait de faire bonne impression, me jurant qu’il était sincère. Pour lui, il s’agissait de coïncidences ou d’un plaisantin faisant partie du milieu journalistique. Personnellement, je ne croyais pas du tout à cette version. Il avait l’air très mal à l’aise et plutôt pressé de finir l’entretien.
— Alors ? insista Miller.
— Alors, j’ai laissé tomber dans un premier temps, pensant que je me montais la tête tout seul.
— Et votre femme, quel était son point de vue ?
— Ma compagne ? Je ne lui en ai jamais touché un mot. J’ai mené mes recherches à son insu.
— Puisque vous parlez d’un premier temps, vous sous-entendez qu’il y a eu d’autres évènements ?
— Oui, les messages ont continué. Espacés d’un mois, ils étaient toujours en relation avec un article de la une du journal. J’avais du mal à avaler que Collins n’était pas dans le coup. Les recherches que j’ai pu faire sur cet individu n’ont pas abouti. J’ai approché certaines personnes de son entourage qui m’ont vite tourné le dos dès que j’abordais la vie du type en question, mais a priori plus à cause de ses mœurs que de ses engagements politiques. Il avait l’air clean, hormis son penchant pour l’alcool et les jolies filles. Il me restait la piste des annonces. Il fallait que j’en comprenne la signification. Je suis donc retourné à la bibliothèque, mais mes recherches sont toujours au point mort.
— Bien, dit Miller.
— Vous ne travaillez jamais, vous ? demanda Giffard.
— Je suis architecte et comme vous le savez, la conjoncture n’est pas au beau fixe actuellement. J’ai du temps, parfois trop. J’ai eu la chance de profiter d’opportunités immobilières qui me laissent des revenus mensuels confortables.
— Les opérations rentables font les rentiers, ça se confirme, plaisanta Giffard.
Miller lança un regard à son homologue français lui signifiant qu’il n’allait pas s’y mettre lui aussi. Le moment n’était pas propice à la détente.
— Où en êtes-vous maintenant ? S’il y a eu cinq annonces et si mes calculs sont bons, vous devriez en avoir constaté d’autres depuis. Ce qui devrait nous faire, voyons voir, dit-il en scrutant le calendrier mural, huit au total, c’est ça ?
— Vous dites vrai, la huitième a été publiée il y a trois jours maintenant, mais vous m’avez mis au placard et je n’ai pas pu continuer mes recherches.
— Je pense qu’il s’agit d’une plaisanterie. Si des investigations se révèlent nécessaires, ce dont je doute, nous ouvrirons une enquête.
— Et vous allez me faire croire que la CIA donc vous êtes un honorable membre, à n’en pas douter, vous a demandé de venir ici, en France, uniquement pour vérifier s’il y avait lieu d’ouvrir une enquête ?
— Pour le moment, vous avez certainement autre chose à faire que de fouiner dans les affaires des autres. Occupez-vous donc de votre métier et ne vous exposez pas à des situations qui pourraient vous mettre en danger, vous et votre entourage. Par pitié, laissez le projet Blue Beam aux fanatiques conspirationnistes. Me suis-je bien fait comprendre ? insista Miller.
Cet Amerloque était on ne peut plus clair. J’étais épuisé par ces deux jours de garde à vue. J’avais dormi dans une cellule avec un poivrot qui ne cessait pas de se gratter les cheveux. Ses flatulences ne le gênaient pas le moins du monde. Mes repas s’étaient résumés à un sandwich sous cellophane, pur prototype copié de la SNCF. J’aspirais uniquement à rentrer chez moi et j’allais déjà devoir expliquer à Julie la raison de mon absence, ce qui n’allait pas être une mince affaire. Mon portable confisqué, elle devait se faire un sang d’encre.